René Crevel (1900-1935) "On dîne tôt et vite dans les petits hôtels de montagne. J’étais seul à table. Me voici seul dans ma chambre. Seul. Cette aventure, je l’ai si fort et si longtemps désirée que j’ai souvent douté qu’elle pût être jamais. Or ce soir, mon souhait enfin réalisé, je me trouve disponible à moi-même. Aucun pont ne me conduit aux autres. Des plus et des mieux aimés je n’ai pour tout souvenir qu’une fleur, une photo. La fleur, une rose, achève de se faner dans le verre à dents. Hier, à la même heure, elle s’épanouissait à mon manteau. La boutonnière était assez haute pour qu’elle surprît mon visage dès qu’à peine il se penchait. Mais chaque fois, ma peau de fin d’après-midi, avant de s’étonner d’une douceur végétale, avait des réminiscences d’œillet. Tout un hiver, tout un printemps, n’avais-je pas voulu confondre avec le bonheur ces pétales aux bords déchiquetés, sur la sagesse nocturne d’une soie figée en revers ? Tout un hiver, tout un printemps. Hier." René Crevel, écrivain révolté et tourmenté, malheureusement oublié de nos jours, fut une figure du surréalisme et du dadaïsme. Dans "Mon corps et moi", il se met à nu et s'interroge, laissant paraître ainsi son profond dégoût de tout...
Nombre de pages : 79
Date de publication :
Éditeur : La Gibecière à Mots