Albert Londres (1884-1932) "Il était neuf heures et quinze minutes, un soir de cette année, lorsqu’un train que, malgré tout, et pour ne pas lui faire de tort, je continuerai d’appeler l’Orient-Express, me déposait, poliment, sur un quai, à Sofia, Bulgarie. Rien ne bougeait. Le chef de gare y représentait, seul, l’humanité. Un grand emplacement suburbain, enveloppé dans une nuit noire, dormait devant la station. Je fouillai mes poches, cherchant des allumettes. Ce geste était exagéré, des lumières piquaient l’obscurité, tout près, le long du trottoir, où même des voitures attendaient. L’une d’elles m’emmena. À la réflexion, j’approuvai la municipalité de Sofia. À quoi bon faire des gares un centre d’attraction ? N’est-ce pas inciter les siens à s’en aller et les étrangers à venir ? Si l’on sait ce que l’on perd on est moins sûr de ce que l’on trouve. N’est-ce pas, chauffeur ? Ayant franchi la zone obscure, le chauffeur se dirigea vers une porte toute blanche : un arc de triomphe en plâtre. J’allais dire merci quand il me revint que ce monument n’avait pas été dressé uniquement en mon honneur, mais aussi en celui de la tsarine, nouvelle épousée, venue de Rome, dernièrement, prendre possession de sa capitale, au côté de son prince-amour, Boris III, roi de Bulgarie. Là, je reconnus la ville. Nous l’abordions par son quartier national. La vieille poésie balkanique y chantait encore : piments rouges, agneaux grillés, baquets de lait caillé, hôtels avec chambres à cinq lits, nappes souillées sur tables carrées." Recueil de chroniques. 1931 : le journaliste Albert Londres se rend à Sofia, en Bulgarie. Le pays est secoué par des luttes internes. Albert Londres souhaitent rencontrer les fameux comitadjis de l'ORIM qui contestent, par le fer et la poudre, l'éclatement de la Macédoine...