Michel Zévaco (1860-1918) "En ce temps-là, le chef de la police vénitienne était un certain Gennaro – Guido de son prénom – homme d’une quarantaine d’années, brun de poil, énergique de tempérament, et, comme tous les fonctionnaires de cette république tourmentée par les révolutions d’antichambre et les batailles autour du pouvoir, doué d’un solide appétit d’ambitieux. Guido Gennaro convoitait la place de Dandolo, comme Altieri convoitait la place de Foscari, comme Foscari convoitait de transformer la couronne ducale en couronne royale. Il était, disons-nous, chef de la police visible et occulte de Venise, et n’avait au-dessus de lui comme supérieur direct que le grand inquisiteur. C’est assez dire que le personnage était redoutable. Du reste, il exerçait son métier avec une sorte de conscience et n’avait d’autre passion que de flairer une bonne conspiration, de l’inventer au besoin de toutes pièces, pour avoir la joie et l’honneur de la déjouer. Il ne jouait pas, comme cela arrivait à maint seigneur qui se ruinait aux dés. Il ne faisait pas grande chère, et pourtant, recevait magnifiquement deux fois l’an, à Pâques et à Noël. On ne lui connaissait ni femme ni maîtresse. Son grand plaisir était de se promener seul, le soir, dans Venise, déguisé tantôt en bourgeois, tantôt en marinier . il frôlait alors les groupes de promeneurs, entrait dans les cabarets, dont tous les patrons étaient ses créatures. Maître Bartolo le Borgne, patron de l’Ancre-d’Or, était de ses amis. Le résultat de ces promenades était généralement que deux ou trois pauvres diables étaient saisis dans leur lit au moment où ils s’y attendaient le moins et se voyaient condamnés, les uns à deux ans de plombs, les autres aux galères, les autres à cinq ou six ans de puits : la sinistre manne du tribunal était inépuisable. Alors le seigneur Guido Gennaro se frottait les mains. Il avait coutume de dire que, dans une ville policée, le principal monument, le seul vraiment utile, c’était la prison. Il était l’âme visible de la prison. Il rêvait d’une prison gigantesque où il eut enfermé toute la ville, et d’une organisation sociale qui n’eût admis que deux catégories de citoyens : les prisonniers et les geôliers." Suite de "Le Pont des soupirs". 1509. Venise s'apprête à fêter les fiançailles du fils du doge, Roland Candiano, avec Eléonore, descendante d'une grande famille vénitienne... Lors de la célébration, le Grand Inquisiteur d'Etat, Foscari procède à l'arrestation de Roland, accusé de complot. C'est la chute de la maison Candiano puis le temps de la vengeance...
Nombre de pages : 366
Date de publication :
Éditeur : La Gibecière à Mots