Honoré de Balzac (1799-1850) "Vous savez combien sont minces les cloisons qui séparent les cabinets particuliers dans les plus élégants cabarets de Paris. Chez Véry, par exemple, le plus grand salon est coupé en deux par une cloison qui s’ôte et se remet à volonté. La scène n’était pas là, mais dans un bon endroit qu’il ne me convient pas de nommer. Nous étions deux, je dirai donc, comme le Prud’homme de Henri Monnier : « Je ne voudrais pas la compromettre. » Nous caressions les friandises d’un dîner exquis à plusieurs titres, dans un petit salon où nous parlions à voix basse, après avoir reconnu le peu d’épaisseur de la cloison. Nous avions atteint au moment du rôti sans avoir eu de voisins dans la pièce contiguë à la nôtre, où nous n’entendions que les pétillements du feu. Huit heures sonnèrent, il se fit un grand bruit de pieds, il y eut des paroles échangées, les garçons apportèrent des bougies. Il nous fut démontré que le salon voisin était occupé. En reconnaissant les voix, je sus à quels personnages nous avions affaire. C’était quatre des plus hardis cormorans éclos dans l’écume qui couronne les flots incessamment renouvelés de la génération présente . aimables garçons dont l’existence est problématique, à qui l’on ne connait ni rentes ni domaines, et qui vivent bien. Ces spirituels condottieri de l’Industrie moderne, devenue la plus cruelle des guerres, laissent les inquiétudes à leurs créanciers, gardent les plaisirs pour eux, et n’ont de souci que de leur costume. D’ailleurs braves à fumer, comme Jean Bart, leur cigare sur une tonne de poudre, peut-être pour ne pas faillir à leur rôle . plus moqueurs que les petits journaux, moqueurs à se moquer d’eux-mêmes . perspicaces et incrédules, fureteurs d’affaires, avides et prodigues, envieux d’autrui, mais contents d’eux-mêmes . profonds politiques par saillies, analysant tout, devinant tout, ils n’avaient pas encore pu se faire jour dans le monde où ils voudraient se produire. Un seul des quatre est parvenu, mais seulement au pied de l’échelle. Ce n’est rien que d’avoir de l’argent, et un parvenu ne sait tout ce qui lui manque alors qu’après six mois de flatteries." Quatre journalistes discutent dans un restaurant parisien. Leur conversation s'oriente vers la banque Nucingen, la façon dont elle a réussi, et l'amant de Mme Nucingen, Rastignac, qui profite de la montée en puissance de la banque... Roman court.
Nombre de pages : 60
Date de publication :
Éditeur : La Gibecière à Mots