Oscar Wilde (1854-1900) "CYRILLE, entrant par la porte ouverte sur la terrasse. – Mon cher Vivian, ne vous cloîtrez donc pas tout le jour dans la bibliothèque. Voici un après-midi d’un charme parfait. L’air est exquis. Une brume est sur les bois comme la fleur pourprée sur les prunes. Allons nous coucher sur l’herbe, fumer des cigarettes et jouir de la Nature. VIVIAN. – Jouir de la Nature ! Ce m’est une joie de vous dire que j’ai complètement perdu cette faculté. On nous enseigne que l’Art nous fait aimer la Nature plus que nous ne l’aimions auparavant . qu’il nous révèle ses secrets et qu’après une patiente étude de Corot et de Constable nous découvrons en elle ce qui avait échappé à notre observation. Mon expérience personnelle est que plus nous étudions l’Art, moins nous nous soucions de la Nature. Ce que l’Art nous révèle en réalité c’est le manque de plan de la Nature, ses crudités curieuses, son extraordinaire monotonie, son état d’inachèvement absolu. La Nature a de bonnes intentions, sans doute, mais Aristote l’a dit autrefois, elle ne peut les réaliser. Quand je regarde un paysage, je ne puis me défendre d’en voir tous les défauts. Il est heureux pour nous, toutefois, que la Nature soit si imparfaite, car, autrement, nous n’aurions pas d’art. L’art est notre protestation ardente, notre vaillant effort pour enseigner à la Nature sa vraie place. Quant à l’infinie variété de la Nature, c’est un simple mythe. On ne saurait la trouver dans la Nature elle-même, mais dans l’imagination, la fantaisie ou la cécité cultivée de l’homme qui la regarde." Recueil de 4 essais : Qu'est-ce que l'art selon Oscar Wilde ? "Le déclin du mensonge" - "Plumes, pinceaux, poisons" - "La critique est un art" - "La vérité des masques"
Nombre de pages : 144
Date de publication :
Éditeur : La Gibecière à Mots