Jules Verne (1828-1905) "Cet homme était seul dans la nuit. Il passait comme un loup entre les blocs de glace entassés par les froids d’un long hiver. Son pantalon doublé, son « khalot », sorte de cafetan rugueux, en poil de vache, sa casquette à oreillettes rabattues, ne le défendaient qu’imparfaitement des atteintes de l’âpre bise. De douloureuses gerçures fendaient ses lèvres et ses mains. La pince de l’onglée lui serrait l’extrémité des doigts. Il allait à travers une obscurité profonde, sous un ciel bas dont les nuages menaçaient de se résoudre en neige, bien que l’on fût déjà aux premiers jours d’avril, mais à la haute latitude du cinquante-huitième degré. Il s’obstinait à ne pas s’arrêter. Après une halte, peut-être eût-il été incapable de reprendre sa marche. Vers onze heures du soir, cet homme s’arrêta cependant. Ce ne fut pas parce que ses jambes lui refusaient le service, ni parce que le souffle lui manquait, ni parce qu’il succombait à la fatigue. Son énergie physique valait son énergie morale. Et, d’une voix forte, avec un inexprimable accent de patriotisme : "Enfin... la frontière... s’écria-t-il, la frontière livonienne... la frontière du pays ! " Un prisonnier politique s'enfuit des mines de Sibérie et tente de rejoindre la Livonie. Pendant ce temps, et non loin d'où il se trouve, un employé d'une banque de Riga est assassiné et volé dans une auberge...
Number of pages : 173
Publication date :
Editor : La Gibecière à Mots