André Gide (1869-1951) "De tout temps les tribunaux ont exercé sur moi une fascination irrésistible. En voyage, quatre choses surtout m’attirent dans une ville : le jardin public, le marché, le cimetière et le Palais de Justice. Mais à présent je sais par expérience que c’est une tout autre chose d’écouter rendre la justice, ou d’aider à la rendre soi-même. Quand on est parmi le public on peut y croire encore. Assis sur le banc des jurés, on se redit la parole du Christ : Ne jugez point. Et certes je ne me persuade point qu’une société puisse se passer de tribunaux et de juges . mais à quel point la justice humaine est chose douteuse et précaire, c’est ce que, durant douze jours, j’ai pu sentir jusqu’à l’angoisse. C’est ce qu’il apparaîtra peut-être encore un peu dans ces notes. Pourtant je tiens à dire ici, d’abord, pour tempérer quelque peu les critiques qui transparaissent dans mes récits, que ce qui m’a peut-être le plus frappé au cours de ces séances, c’est la conscience avec laquelle chacun, tant juges qu’avocats et jurés, s’acquittait de ses fonctions. J’ai vraiment admiré, à plus d’une reprise, la présence d’esprit du Président et sa connaissance de chaque affaire . l’urgence de ses interrogatoires . la fermeté et la modération de l’accusation . la densité des plaidoiries, et l’absence de vaine éloquence . enfin l’attention des jurés. Tout cela passait mon espérance, je l’avoue . mais rendait d’autant plus affreux certains grincements de la machine. Sans doute quelques réformes, peu à peu, pourront être introduites, tant du côté du juge et de l’interrogatoire, que de celui des jurés... Il ne m’appartient pas ici d’en proposer."