George Sand (1804-1876) "Chargé par mon père d’une mission très délicate, je me rendis, vers la fin de mai 1788, au château d’Ionis, situé à une dizaine de lieues dans les terres, entre Angers et Saumur. J’avais vingt-deux ans, et j’exerçais déjà la profession d’avocat, pour laquelle je me sentais peu de goût, bien que ni l’étude des affaires ni celle de la parole ne m’eussent présenté de difficultés sérieuses. Eu égard à mon âge, on ne me trouvait pas sans talents . et le talent de mon père, avocat renommé dans sa localité, m’assurait, pour l’avenir, une brillante clientèle, pour peu que je fisse d’efforts pour n’être pas trop indigne de le remplacer. Mais j’eusse préféré les lettres, une vie plus rêveuse, un usage plus indépendant et plus personnel de mes facultés, une responsabilité moins soumise aux passions et aux intérêts d’autrui. Comme ma famille était dans l’aisance, et que j’étais fils unique, très choyé et très chéri, j’eusse pu choisir ma carrière . mais j’eusse affligé mon père, qui s’enorgueillissait de sa compétence à me diriger dans le chemin qu’il m’avait frayé d’avance, et je l’aimais trop tendrement pour vouloir faire prévaloir mes instincts sur ses désirs. Ce fut une soirée délicieuse que celle où j’achevais cette promenade à cheval à travers les bois qui entourent le vieux et magnifique château d’Ionis. J’étais bien monté, vêtu en cavalier avec une sorte de recherche, et accompagné d’un domestique dont je n’avais nul besoin, mais que ma mère avait eu l’innocente vanité de me donner pour la circonstance, voulant que son fils se présentât convenablement chez une des personnes les plus brillantes de notre clientèle. La nuit s’éclairait mollement du feu doux de ses plus grandes étoiles." Just Nivières, un jeune avocat, est chargé par son père, également avocat, de résoudre une affaire assez simple au château d'Ionis. Sa cliente, Mme d'Ionis étant absente, c'est sa belle-mère qui accueille Just Nivières. Le soir, la bonne apporte, dans sa chambre, un ambigu afin qu'il puisse se restaurer. Mais pourquoi trois pains et trois carafes d'eau pour un seul homme ?