George Sand (1804-1876) "– Pourquoi es-tu triste, mon camarade ? De quoi es-tu mécontent ? Tu es jeune et fort, tu n’as père ni mère, femme ni enfants, partant aucun des tiens dans la peine. Tu travailles vite et bien. Jamais tu ne manques d’ouvrage. Personne ici ne te reproche de n’être pas du pays. Au contraire, on t’estime pour ta conduite et tes talents, car tu es instruit pour un ouvrier : tu sais lire, écrire et compter presque aussi bien qu’un commis. Tu as de l’esprit et de la raison, et par-dessus le marché, tu es le plus joli homme de la ville. Enfin tu as vingt-quatre ans, un bel âge ! Qu’est-ce qu’il te faut donc, et pourquoi, au lieu de venir te promener et causer avec nous le dimanche, te tiens-tu à l’écart, comme si tu ne te croyais pas l’égal des autres, ou comme si tu ne les jugeais pas dignes de toi ? Ainsi parlait Louis Gaucher, l’ouvrier coutelier, à Etienne Lavoute, dit Sept-Epées, le coutelier-armurier. Ils étaient assis au soleil, devant une des cinq ou six cents fabriques qui se pressent et s’enchevêtrent sur les deux rives du torrent, à l’endroit appelé le Trou-d’Enfer. Pour s’entendre parler l’un l’autre au bord de cette violente et superbe chute d’eau, il leur fallait l’habitude qu’ils avaient de saisir la parole humaine à travers le bruit continuel des marteaux, les cris aigres des outils et le sifflement de la fournaise." Etienne, dit Sept-Epée, est un jeune coutelier, parmi tant d'autres, de la Ville Noire. Il a l'ambition de s'élever car il est un bon ouvrier. Sept-Epée aime aussi la jeune ouvrière papetière Tonine qui a pour désir de soulager ses prochains. Mais il a peur du mariage qui briserait peut-être ses rêves...