Des personnages borderline nous indiquent la glace pour qu'on s'y regarde. « Les travailleurs sociaux relativement déséquilibrés sont équilibrants. Il faut des gens un peu barjos pour s’occuper des personnes en grande souffrance. Mais derrière cet apparent déséquilibre, il y a une grande solidité ». Trouvée sur la porte du bureau d’une assistante sociale, cette mystérieuse citation illustre le propos de ce recueil de fragments. Morceaux d’écriture de soi, bribes de fiction, lambeaux de vies, débris de corps, éclats de rire, tessons de colère, Borderline, c’est l’histoire d’une équilibriste. Entre les lignes, au fil des pages, Rachel, la narratrice s'entoure de personnages cabossés, vulnérables, défectueux, mais résistants. Au bord du précipice de la folie, de la maladie ou de la vieillesse, Fatiha, François, Gisèle, Tatiana, Jean-Pierre, Béatrice déploient des efforts considérables pour combattre l'attrait du vide. Dans ce face à face intérieur entre la vie et la mort, ces femmes et ces hommes avancent sur un fil ténu, sauvés par le regard de l’autre. Ces parcours en marge invitent à regarder la bombe implosante que nous devenons parfois.L'auteure, travailleuse sociale, met en scène son double littéraire dans ce recueil de nouvelles débordant d'humanité.EXTRAIT Vingt-quatre ans, la gorge nouée, le thorax oppressé et les intestins contrariés, Rachel a pris rendez-vous pour retrouver le sourire de son enfance. Marre de porter l’intelligence comme un fardeau et de n’être jamais assurée de sa place. Si le féminin d’imposteur n’existe pas, d’où lui vient la certitude de n’être jamais à la hauteur? Ils font comment les autres pour s’arroger les premières places? Qu’est-ce qui lui manque pour être comme eux? Vingt-quatre ans, des boucles brunes et des yeux émeraude, des mensurations enviables, mais ça aussi, Rachel, ça l’encombre. Alors elle coupe au carré, elle lisse, elle discipline et se met au régime. Vingt-quatre ans, un ami à quatre pattes et certains soirs, l’existence cadenassée au regard de son chien, à la littérature, aux rencontres masculines hygiéniques et nocturnes, Rachel porte la misère du monde dans un baluchon. À mesure qu’elle se voûte, sa colonne vertébrale part en vrille. Chaque semaine, Docteur Villemur l’attend résidence Évasion. Ville-Mur-Evasion, tout un programme! Dans la salle d’attente, pas de trace des magazines féminins. Comment perdre trois kilos avant l’été? Quelle amoureuse êtes-vous? Qui couche avec qui? Pas de place pour ces niaiseries chez le psychanalyste, juste de l’art, Basquiat, Dali, Modigliani, Picasso et Frida Kahlo. Apprenez-moi à regarder les rails sans franchir la balustrade, pleurniche-t-elle. Engoncée dans les fringues étriquées d’une enfance provinciale, embourbée dans le chaos d’une adolescence fracassante, de séance en séance, Rachel détricote les mailles du passé pour bâtir une couverture patchwork de survie.À PROPOS DE L'AUTEURE