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Le noël du Moblot

Louis Gouget

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GOUGET, Louis (1877-1915)Le Noël du Moblot (1911). Si vous avez connu Duval, dit le Moblot, ce grand chat maigre, garde-chasse de son métier et qui faisait si bien le « pied » au matin des battues, si vous l'avez connu, et que vous ayiez un minimum de littérature, je suis sûr qu'il vous évoquait, comme à moi, la sympathique figure de don Quichotte, l'ingénieux hidalgo de la Manche - Non qu'il eût combattu les moulins à vent, il était trop sensé pour cela, non qu'il se fût amusé à crever des outres, pour en répandre le vin, il avait trop grand respect de la « purée septembrole ». Mais sa haute taille, sa figure osseuse, ses manières de rodomont et sa vantardise en faisaient une assez fidèle copie du maître de Sancho Pança - s'il tenait par sa prestance du XVIe siècle, il en tenait aussi pour son appétit. Rarement vîtes-vous mangeur plus solide que Duval le Moblot. - Dès son jeune âge, alors qu'il était petit valet, il ne rassasiait point. - Il ne connaissait pas son appétit. - « J'ai-ti bientôt assez mangi, moussieu ? » demandait-il à son patron. - Si celui-ci ne lui eût pas répondu vite, Duval eût dévoré toutes les galettes de sarrasin et je ne sais s'il eût laissé en repos la tuile et le gril. Un jour, il avait dix-huit ans, il paria à la Saint-Clément, du Plessis-Grimoult, qu'il mangerait un gigot tout entier et gagna son pari . une autre fois, il dévora un dindon, etc. - Si je voulais vous raconter tous ses exploits pantagruéliques, je n'en finirais - qu'il vous suffise de savoir qu'il naquit aux environs de Saint-Rémy-sur-Orne, pays où l'estomac des gens est comme le sous-sol, bardé de fer. - Man pouar' Auguste, disait sa mère effrayée d'avoir à donner la becquée à un ogre semblable, comment qu'tu f'ras quand tu seras soldat ».Le fait est qu'une maigre gamelle devait sembler pitance légère à un homme de la complexion de notre ami - Hélas, il ne l'eut même pas toujours la maigre gamelle, car il fit son temps de service à un moment où les moins affamés périssaient d'inanition.Il atteignit ses vingt ans lors de la guerre et suivit les mobiles du Calvados à l'armée de Chanzy. - Certainement Duval n'était pas un capon et il fit son devoir tout comme un autre, mais, bon dieu, qu'il souffrit de la faim - « Ah mes bonnes gens, disait-il invariablement, quand après avoir fait le « pied », il s'attablait, au déjeuner de chasse et coupait à la miche un gros chanteau de pain - ah mes bonnes gens, si j'avions eu cha en soixante-dix - et alors sans désemparer il nous contait les misères de cette époque : - à Dreux, il avait mangé du cheval, à Marchenoir des pommes de terre gelées, à Nonancourt, il avait découvert un bifteck, mais une panique imbécile le lui fit laisser sur le gril. A Sillé-le-Guillaume, il était tellement harassé qu'il s'était étendu en pleine neige et n'avait rien goûté pendant plus de trente heures, - à Fréteva

Nombre de pages : 10

Date de publication :

Éditeur : Audiocité

Le studio Littérature

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